Pourquoi le vocabulaire marketing est si guerrier (et comment le réinventer)
Le langage du combat est omniprésent en entreprise.
On parle de « cibles », de « campagnes » et de « part de marché à conquérir ».
Quel enfer…
Mais ce n’est pas un hasard si le marketing parle comme à la guerre…
En fait, ça vient de loin, et ça façonne encore notre façon de voir les client·es… et de leur parler.
Je vous propose de plonger dans les racines de ce vocabulaire guerrier…
Et tout ce qu’il implique – culturellement, philosophiquement, éthiquement.
Et surtout, on va voir comment on peut faire autrement : avec des mots plus vivants, plus doux et surtout plus humains.
Origines historiques du vocabulaire guerrier en marketing
Le marketing moderne s’est développé en empruntant au lexique et aux stratégies militaires.
Historiquement, les premiers théoriciens du management et du marketing se sont inspirés de grands stratèges comme Sun Tzu, Machiavel ou Clausewitz.
Dès le XIXème siècle et l’ère industrielle, le monde des affaires s’inspire du modèle militaire : hiérarchie, stratégies, tactiques… et une obsession pour « combattre » la concurrence.
Résultat : tout le vocabulaire marketing s’est teinté de guerre.
Par exemple, le terme même de « campagne publicitaire » est hérité du vocabulaire militaire (une campagne désignant originellement une série d’opérations de guerre).
Dans les années 80, certains théorisaient (Marketing Warfare (1986) de Ries & Trout) même que le marketing, c’était la guerre.
Littéralement.
Le client ? Pas la priorité. L’objectif ? Écraser les autres.
Même Jacques Séguéla le disait : “J’étais un petit Goebbels, je faisais du matraquage.” Ambiance.
À l’époque, le marketing, c’était clairement vu comme une guerre psychologique.
Bref : ce vocabulaire ultra-belliqueux vient d’une époque où l’entreprise partait « en conquête », armée jusqu’aux dents, pour gagner la bataille du marché.
Pourquoi le vocabulaire marketing guerrier pose problème – culturellement, symboliquement, éthiquement
Utiliser un langage guerrier en marketing, ce n’est pas juste une façon de parler. C’est une vision du monde.
Quand on parle de "cibles", de "conquête", de "parts de marché à gagner", on installe un imaginaire de compétition violente où l’autre est un obstacle, voire un ennemi.
Le client devient une proie.
Le concurrent, un adversaire à abattre.
Et l’entreprise ? Un soldat en mission.
Ce vocabulaire crée un climat de compétition permanente, où gagner compte plus que contribuer.
Comme si écraser valait mieux que servir.
C’est un héritage d’un marketing masculinisé, forgé dans des logiques de domination, où on valorise la force, l’agressivité, l’autorité…
Résultat ? L’écoute, la bienveillance ou la coopération sont reléguées au second plan.
Et ce n’est pas qu’une image : les métaphores qu’on utilise forment notre façon de penser.
Comme l’expliquent Lakoff & Johnson, si tu penses “l’argumentation = une guerre”, tu vas vouloir démolir l’autre.
Et si tu penses “le marketing = une guerre”, tu risques de mettre de côté l’éthique… pour “gagner”.
À force de parler d’attaques de pub, de ciblage, de captation, on finit par croire que c’est normal. Que c’est comme ça qu’on vend.
Mais ces mots-là créent une idéologie : celle d’un marketing qui écrase, au lieu d’un marketing qui relie.
Comment le vocabulaire marketing influence la relation client (et les pratiques d’équipe)
L’usage d’un vocabulaire guerrier en marketing n’est pas juste un détail de style : il influence concrètement la manière dont les client·es perçoivent les messages, et la manière dont les équipes pensent leurs actions.
Côté public, ce type de langage peut créer un malaise – même inconscient.
Personne n’a envie d’être visé comme une cible, ou traité comme un ennemi à convaincre.
Et pourtant, on parle encore de “capturer l’attention”, de “cibler des segments”, de “lancer une offensive de com”.
Tout ça donne l’impression qu’on cherche à manipuler plutôt qu’à créer un lien.
➡️ Résultat ?
Une communication trop agressive peut nuire profondément : le client ne se sent plus considéré, mais traqué. Il perd confiance.
Et aujourd’hui, cette méfiance peut vite se diffuser (merci les réseaux…).
À l’inverse, un discours plus respectueux, centré sur l’aide, la clarté, la communauté, a beaucoup plus de chances d’engager durablement.
Et du côté des équipes marketing, ce vocabulaire guerrier n’est pas neutre non plus.
Concevoir son métier comme une bataille à mener à tout prix, c’est aussi :
faire du matraquage sans se poser de questions ;
enchaîner les lancements sous pression ;
et mesurer la réussite uniquement à la performance immédiate.
Et ce n’est pas un hasard si de plus en plus de marketeurs se sentent à côté de leurs valeurs, ou tout simplement en burn-out.
Côté public aussi, ce marketing “prêt à tout” lasse :
“On est de plus en plus nombreux à ne plus vouloir jouer à ce jeu-là, où tous les coups sont permis pour vendre”, écrit la consultante en marketing éthique Émilie Lechevalier.
🌀 Et puis il y a le contexte.
Autrefois, on pouvait encore penser que le public était “passif”, à “capturer” (oui, comme l’avait dit un célèbre patron de télé : “du temps de cerveau disponible”).
Mais aujourd’hui, les client·es sont informé·es, critiques, connectés.
Ils observent. Ils commentent. Ils boycottent aussi, parfois.
👉 Bref, on est sorti de l’ère de la pub martiale.
Les consommateurs veulent être participants, pas cibles.
Ils attendent une vraie relation, basée sur la clarté, l’écoute, le respect mutuel.
Et ça commence, tout simplement… par les mots qu’on choisit.
Pourquoi le vocabulaire marketing guerrier alimente des dérives éthiques (et comment y remédier)
Le vocabulaire guerrier en marketing ne pose pas que un souci de style : il soulève des questions éthiques profondes.
Parce qu’à force de penser en termes de “victoire à tout prix”, on finit par justifier des pratiques douteuses : manipulation, matraquage, pression permanente.
👉 C’est ce qu’on appelle le marketing prédateur :
Celui qui dit “peu importe les conséquences”, tant que ça fait du chiffre. Celui qui bombarde de pubs, pousse à la surconsommation, capte l’attention pour mieux provoquer l’achat impulsif.
Et ce marketing-là, aujourd’hui, de plus en plus de voix le remettent en cause – pour ses effets sur les gens comme sur la planète.
Et si on changeait de cap ?
Les approches de marketing éthique proposent autre chose.
Elles placent le respect du client – et du bien commun – au centre.
L’un des piliers, c’est le consentement :
→ Communiquer avec permission.
→ Ne pas forcer.
→ Respecter le droit de dire non.
Comme le dit Émilie Lechevalier, “le respect du consentement est fondamental dans une communication éthique”.
Et ça change tout : on passe d’un marketing qui traque, à un marketing qui accompagne.
Un marketing éthique, c’est :
Des mots clairs.
Des promesses tenues.
Une vraie valeur apportée.
Et une posture honnête.
Même en concurrence, le marketing n’est pas une guerre.
Une entreprise n’est pas là pour écraser un ennemi, mais pour créer de la valeur, pour elle et pour ses client·es.
Vocabulaire marketing responsable : quelles alternatives concrètes aux métaphores guerrières ?
Heureusement, on n’est pas obligé·es de continuer à parler comme à la guerre.
De plus en plus de pros du marketing proposent de changer de vocabulaire — et donc, de regard.
L’idée ? Remplacer la logique de conquête par celle de la relation, de l’écosystème, voire du jeu.
Parce que les mots qu’on choisit façonnent la manière dont on vend, dont on crée, et dont on se relie aux autres.
Voici quelques approches inspirantes qui nous aident à faire ce shift.
1. Métaphores issues de la nature et de l’écologie
Et si on arrêtait de voir le marché comme un territoire à conquérir… pour le voir comme un écosystème à nourrir ?
Dans la nature, tout est affaire d’équilibre, d’interdépendance. Chacun trouve sa niche, sans écraser les autres.
➡️ C’est le principe du marketing organique : On ne force pas. On sème, on nourrit, on fait grandir. On parle alors de cultiver sa relation client, de croissance naturelle, de terreau fertile.
Rien à voir avec un “arsenal d’armes marketing”.
Cette approche rejoint le marketing durable : on évolue avec son environnement (clients, partenaires, société), on ne cherche pas à le dominer.
Et dans ce genre d’écosystème, c’est souvent la coopération qui fait pousser les plus beaux projets.
2. Marketing empathique et relationnel
Autre option : remettre l’humain au cœur.
Voir le marketing comme un art de la relation, plutôt que comme une partie de chasse.
Au lieu de “cibler des segments”, on parle de personas clés.
Au lieu de “capturer du lead”, on crée de la co-création de valeur.
Au lieu de “tactiques”, on parle de stratégies d’engagement.
On écoute, on échange, on accompagne.
Le client devient un partenaire actif, pas une proie.
C’est aussi ça, faire du marketing empathique.
Et ça fonctionne : cette approche, souvent inspirée de la communication non violente ou de la psychologie relationnelle, crée une vraie fidélité.
Elle valorise des qualités longtemps mises de côté dans le marketing “musclé” : l’écoute, la coopération, la douceur.
3. Slow marketing et marketing organique
À contre-courant du “buzz à tout prix” et de la performance à la minute, le slow marketing propose autre chose :
→ Prendre le temps.
→ Miser sur la qualité.
→ Construire une vraie relation sur le long terme.
Ici, pas de “frappe marketing” ni d’urgence anxiogène.
On parle de nurturing (prendre soin), de contenu utile, de progression naturelle.
Et surtout, on mesure le succès autrement :
Pas juste “combien de leads en 3 jours”, mais aussi :
– Combien de client·es reviennent ?
– Qui parle de nous spontanément ?
– Quel impact réel on crée ?
C’est aussi une façon de se reconnecter au plaisir de créer, et à un rythme plus vivable pour soi et pour son audience.
4. Perspectives post-capitalistes et coopératives
Certains vont encore plus loin, avec des visions post-capitalistes du marketing.
Ici, il ne s’agit plus de prendre des parts de marché, mais de répondre à des besoins réels, de co-construire, de partager la valeur.
On parle alors de :
marketing collaboratif (avec les client·es)
marketing régénératif (qui prend soin des ressources, humaines et naturelles)
communs (inspirés des biens partagés, comme l’eau ou les savoirs)
Dans cette logique, le marketing devient un levier au service du collectif, pas juste du profit.
Ces idées font leur chemin dans la recherche, dans certaines coopératives, dans des projets pionniers.
Et rien que changer notre vocabulaire, c’est déjà un pas vers une autre culture.
Conclusion : changer de vocabulaire marketing, c’est déjà faire un pas vers plus de responsabilité
Le vocabulaire guerrier, qui a longtemps dominé le marketing, vient d’une époque où l’entreprise se prenait pour un soldat en mission : conquérir un marché, écraser la concurrence, gagner la bataille de l’attention.
Ok, ça a peut-être aidé à penser la compétition à un moment donné.
Mais aujourd’hui ? Ce langage montre surtout ses limites… et ses dommages collatéraux.
On vit une époque où les client·es veulent du lien, de la clarté, du respect.
Pas une relation marchande à base de “ciblage” et de “tactiques offensives”.
Et où l’éthique, la transparence, l’impact prennent (enfin !) de la place.
L’analyse qu’on vient de faire, croisant les regards pros, philo, féministes et écolos, le montre bien :
👉 nos mots ne sont pas neutres.
Ils orientent notre posture, notre stratégie, notre façon d’agir.
Heureusement, plein d’alternatives existent.
Un marketing plus organique, plus doux, plus humain :
🌿 Inspiré de la nature.
💛 Ancré dans la relation.
🐢 Aligné avec des rythmes plus durables.
🤝 Et même, parfois, complètement repensé à partir d’une vision coopérative ou post-capitaliste.
Ce n’est pas juste un choix de mots.
C’est un changement de regard.
Au fond, le marketing, ce n’est pas une guerre à gagner.
C’est une rencontre à créer. Une relation à cultiver.
Changer les mots, c’est déjà changer le terrain de jeu.
Et remettre du sens là où, trop souvent, on avait mis de la pression.
Alors allons-y. Changeons de ton. Changeons de monde.